Jules, c’était mon numéro 3, raconte Séverine. J’avais la certitude que ça allait être simple, j’avais l’expérience de maman après deux garçons quand le 3ème petit mec est arrivé. Mais cela a tout de suite été compliqué. Jules était inconsolable et alors que je souhaitais, comme toutes les mamans, le prendre dans mes bras, le bercer, c’était pire. La seule chose qui pouvait le calmer (parfois), c’était de le laisser seul, par terre, sur une couverture. Le joli berceau suspendu que j’avais pu enfin acheter pour ce petit dernier n’a jamais servi. Le mettre en écharpe comme j’avais fait avec les deux frères, il ne supportait pas la plupart du temps. Ce qui était difficile, c’est qu’il n’y avait aucune « recette ». Ce qu’on pensait pouvoir fonctionner pour l’aider ne marchait plus le lendemain. À 8 mois, on a découvert un problème physiologique, une bactérie intestinale. C’était donc ça la souffrance. C’était ça… aussi.
Car mon enfant souriait mais il ne gazouillait pas. Zéro son sortait de sa bouche, à part les pleurs. Il y avait des petites choses qui clochaient, il ne montrait rien, il ne demandait rien. Je lui disais : « viens » en tendant les bras à 10 cm de lui, il ne bougeait pas.
Il s’est mis à 4 pattes assez vite, mais il n’a pas essayé de se mettre debout comme tous les autres enfants. Il a marché tard (certains enfants, qui ont ce syndrome, marchent à 5 ans). En fait, il ne supportait pas d’être debout.
Une fois les causes physiologiques évacuées, on a cherché du côté psychomoteur. Cela a duré deux ans. Mon enfant était heureux de vivre, souriant, il me regardait dans les yeux, juste il n’exprimait pas de besoin et je n’avais pas du tout cette image de l’autisme… Et puis, un jour, j’ai vu un reportage à la télévision et je me suis dit : « Il parle de Jules ». J’ai cherché toute seule et je suis allée à la rencontre d’une association. On a passé 3 heures ensemble, ils ont demandé à voir Jules et pour eux… Oui. Jules était autiste.
Je suis retournée dans la structure de santé professionnelle qui le suivait (non nommée volontairement) et lorsque j’ai dit « Mon enfant est autiste » on m’a répondu « Oui, on ne vous l’a pas dit, vous n’étiez pas prête à l’entendre ». J’étais folle de rage.
Jules avait deux ans et demi. C’était en fait un premier soulagement : je savais, je pouvais agir. Je suis rentrée en combat, j’ai essayé de trouver tous les spécialistes : kiné, psychomotricien, pédiatre, je me suis formée, informée, j’ai construit son parcours de soin. Puis Jules a eu un dépistage génétique. Il y avait une anomalie génétique causant son syndrome autistique.
Ça a été « salvateur », si je puis dire. Depuis des années, je me remettais en cause et on m’accusait aussi. Mon couple avait explosé, j’étais seule avec les 3 enfants. C’était moi, mon travail, c’était le divorce… Et en fait non : c’était un gêne déficient.
Pour moi, il était évident qu’il fallait qu’il aille à l’école maternelle et contre l’avis de tous nos proches comme le personnel médical (les médecins voulaient qu’il aille en hôpital de jour), je l’ai inscrit. Sa maîtresse, plus de 10 ans après, suit le parcours de Jules. Elle est toujours présente. Assez vite, malgré sa déficience et ses problèmes d’apprentissage, les enseignants ont dit que Jules ne posait pas de problème… si tout était mis en place pour l’aider et cette aide c’est un.e AVS à temps complet. Ça a été ça la guerre. Faire admettre que mon fils pouvait continuer dans le monde ordinaire. J’avais beau avoir le soutien de ses professeurs, chaque année j’ai dû me battre. Je suis allée trois fois en recours au tribunal. Mes droits et ceux de Jules n’étaient pas respectés. On voulait le mettre en hôpital de jour puis en IME. Et chaque année, Jules est passé dans la classe suivante. En dispositif Ulis bien sûr car il a de grosses difficultés d’apprentissage… et il est aujourd’hui en 3ème, au collège « ordinaire ». Un jour on m’a demandé : « Quel est le niveau scolaire de votre enfant ? » j’ai répondu « Mon fils a le sourire, il est content d’aller à l’école, il a des copains, il progresse. Je sais qu’il n’aura pas de diplôme, de brevet, de bac. Je m’en fiche. Mon fils est heureux à l’école ». C’est passé. Dans la force et le combat, mais c’est passé… jusque l’année suivante.
On m’a aussi presque accusée de « maltraitance » parce que je lui ai fait faire du sport, plein de sports. Je suis une ancienne sportive de haut niveau, mon papa était kiné, j’ai été élevée dans le soin du corps, de l’apprentissage par le sport. Le sport, c’est un outil magique pour apprendre, pour la psychomotricité, le rapport aux autres, la confiance... D’ailleurs, on a arrêté les cours de psychomote quand Jules s’est mis au tennis. Bon, au tennis, il n’y arrivait pas… et puis, il a essayé le handall 3 ans et c’était chouette : un autiste dans un sport collectif. Bien sûr, il fallait adapter à son handicap. Puis, il a essayé l’escrime 1 an, et en rencontrant un entraineur spécialisé, il est revenu au tennis et là… super, il savait renvoyer la balle.
Il fait aussi du surf et du ski à un niveau tellement national qu’il est champion de France en catégorie adaptée (NDLR : la catégorie des handicaps mentaux et psychiques). Il a participé aux Championnats du monde de ski cet hiver… Jules en équipe de France !
L’année prochaine, ce sera la seconde ou le CAP. On parle déjà d’ESAT pour Jules (structure professionnelle réservée aux personnes handicapées) mais lui, il ne veut pas. Alors moi, je ne veux pas non plus. Depuis qu’il a 3 ans, on veut l’enfermer. Je me bats pour qu’il y ait d’autres possibles et Jules nous prouve chaque jour qu’ils existent, ces autres possibles…
L’Atelier STABILO envoie sa sympathie et son admiration pour tous ces parents courage qui mènent un combat souvent déloyal afin que leur enfant aille à l’école, pour qu’il ait une place en IME parce que parfois, c’est ce qu’il faut mais ce n’est pas possible non plus… et que dire du passage à l’âge fatidique des 18 ans quand on a un enfant handicap ? Soudain, il n’y a plus rien (déjà que souvent il n’y a pas grand-chose). Chapeau bas à toutes celles et tous ceux qui luttent pour l’inclusion. La vraie.
Et mille encouragements à Jules pour son passage en lycée (et oui !) et ses compétitions sportives à venir.